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Toul

Un article publié dans le journal La Croix - le 3 novembre 2021

A Toul, une cathédrale résiliente

Élodie Maurot

Pour les 800 ans de la cathédrale Saint-Étienne, la mairie, propriétaire, cherche à faire rayonner ce monument meurtri par la Seconde Guerre mondiale et encore méconnu.

Une imposante cathédrale pour 17 000 habitants : l’équation n’est pas commune. C’est pourtant celle qui se présente à Toul (Meurthe-et-Moselle), petite ville au passé prestigieux, dont elle a hérité une élégante cathédrale gothique. L’édifice fête cette année son 800e anniversaire, qui fait suite aux 800 ans des cathédrales d’Amiens et de Metz l’an dernier. Sa partie la plus ancienne, le chœur, date du XIIIe siècle et sa construction s’est achevée au XVe siècle. Le monument est de taille un peu plus réduite que ses grandes sœurs gothiques, mais avec ses deux tours culminant à 65 mètres, il se déploie en majesté au creux des collines verdoyantes qui entourent la ville fortifiée.

Au cours de sa longue histoire, Toul fut l’une des plus importantes places défensives de l’Est, et ce positionnement aux frontières a marqué l’architecture de sa cathédrale. « Elle est vraiment le prototype de la cathédrale lorraine, avec Nancy et Verdun », rappelle Mathieu Lours, historien, enseignant à Paris-Cergy Université et spécialiste de l’architecture religieuse. Édifié sur les terres du Saint-Empire romain germanique, le monument compte ainsi quatre tours, comme beaucoup de cathédrales allemandes, même si les deux tours de l’abside, situées à l’arrière de l’édifice, ont perdu leur élévation au fil des siècles.

Reconnaissons-le, la cathédrale de Toul ne fait pas partie des ouvrages gothiques les plus connus et ce n’est pas le fruit du hasard. « Au XIXe siècle, Viollet-le-Duc a décrété que la cathédrale de Toul était un ouvrage mineur, parce qu’elle ne correspondait pas au canon pur de l’art gothique. Vous ne pouvez pas imaginer le mal que cela lui a fait, soupire l’actuel maire de la ville, Alde Harmand, archiviste de profession. Aujourd’hui encore, dans les livres sur le gothique, on trouve rarement mention de notre cathédrale. »

Pendant les bombardements de juin 1940, 40 % de la ville de Toul et de sa cathédrale ont été détruits. - Vincent Darmarin]  « La cathédrale de Toul a souffert d’être composite car en France, on a longtemps aimé les ouvrages homogènes, confirme Mathieu Lours. Viollet-le-Duc détestait le gothique flamboyant du XVe siècle, très ornementé. Il jugeait que c’était le signe que le gothique avait épuisé ce qu’il avait à dire. » Ce qu’elle a à dire, la cathédrale de Toul compte le faire entendre au cours de cette année de festivités et rattraper un peu son déficit de notoriété. Car en plus du discrédit, elle a aussi souffert de l’histoire. À la fin du XVIIIe siècle, durant la Terreur, tout son décor sculpté a disparu. « Le conseil municipal a vendu en 1794 les sculptures de la façade au poids sur le parvis », raconte Alde Harmand. Lors de la Seconde Guerre mondiale, le 20 juin 1940, les bombardements allemands ont provoqué un incendie qui a détruit toutes les toitures et une grande partie des vitraux. « 40 % du monument a disparu, et la même proportion de la ville a été détruite », poursuit le maire.

L’édifice a mis beaucoup de temps à panser ses plaies. Il a fallu attendre 1980, et le paiement des dommages de guerre, pour que le monument soit débarrassé de la couverture provisoire installée à la fin du conflit et retrouve une véritable toiture. En 2008, la polychromie de la nef a été restaurée. En 2016, ce sont deux anciennes statues de la façade que le maire est parvenu à identifier et à acquérir pour le musée local. Cette année, une nouvelle salle du trésor, élégante et contemporaine, a été inaugurée. Bientôt, c’est l’électricité et le système d’éclairage qui seront revus, grâce au soutien du Plan de relance.

« La mairie fait un bon entretien de sa cathédrale. Chaque année, des travaux sont votés, mais il faut reconnaître que c’est un patrimoine un peu démesuré pour une si petite commune », souligne Marie Gloc, conservateur des monuments historiques à la Drac Grand Est. La cathédrale de Toul a en effet la particularité de ne pas être propriété de l’État, contrairement à la quasi-totalité des cathédrales de France. Depuis le concordat de 1801 qui redessina la carte des diocèses et privilégia Nancy comme siège de l’évêché, le monument est propriété de la commune. En France, seules deux autres cathédrales sont dans le même cas : Laon et Auxerre.

« Toutes les dépenses concernant la cathédrale sont votées à l’unanimité au conseil municipal, il n’y a aucun problème là-dessus. Mais cela n’empêche pas que cela représente une lourde dépense pour une petite collectivité comme la nôtre, reconnaît le maire Alde Harmand. Malgré les subventions, environ un tiers du montant des chantiers de restauration reste toujours à la charge de la commune. Avec les taux actuels et des prêts sur quarante ans, c’est absorbable, mais la plupart des villes n’ont pas ce genre de charge. » Cette singularité explique en partie pourquoi la grande chapelle des évêques, à gauche de la nef, reste obstinément fermée et sous étais depuis la Seconde Guerre mondiale. « Cette chapelle est pourtant un chef-d’œuvre tout à fait exceptionnel par sa voûte plate en pierre d’une portée de 9 mètres », regrette Mathieu Lours. Des études doivent bientôt commencer pour évaluer sa stabilité et décider du bon scénario de restauration. « Espérons que ce chantier commence enfin pour de bon ! », soupire l’historien.

En attendant, la cathédrale a de beaux atours à présenter. De l’extérieur, une façade très ouvragée avec un grand Christ en croix, deux élégantes tours dentelées, un des plus grands cloîtres de France, avec d’authentiques gargouilles… À l’intérieur, une nef très lumineuse et une belle pierre calcaire. « Elle n’a jamais eu besoin d’être nettoyée en 800 ans ! », précise le maire. Le décor recèle aussi quelques belles surprises. Le siège de l’évêque, grande cathèdre en pierre taillée datant du XIIIe siècle, est l’un des plus anciens de la chrétienté encore conservé. Le chœur offre un intéressant décor baroque, juxtaposant des tableaux de saints, des panneaux en marbre noir et de ravissantes bordures d’angelots et de fruits. Quant à la chapelle de Tous-les-Saints, datant de la Renaissance, c’est l’un des clous de la visite, avec le « faux » volume de sa voûte qui repose sur un jeu d’optique et de perspective.

Pour admirer ce bel ensemble, nul risque d’avoir à faire la queue ou d’être bousculé. Toul se situe à l’écart des flux touristiques, même si la ville mise plus que jamais sur son patrimoine pour se développer et capter l’attention des Européens du Nord traversant la région pour aller vers la Côte d’Azur. « Le tourisme est pour nous un levier important de développement, avec la visite de la cathédrale, la forteresse Vauban, le tourisme fluvial sur les boucles de la Moselle ou sur le canal Marne-Rhin à proximité », détaille le maire. Alors, pour le 800e anniversaire, la ville s’est pavoisée aux couleurs de l’événement et déploie un programme de festivités. Elle vient aussi de faire l’acquisition d’une nouvelle rose, créée par les rosiéristes André Ève, et baptisée « Toul cathédrale », qui viendra fleurir les jardins de la ville. Enfin, pas d’anniversaire sans cadeau… Grâce à une souscription lancée avec le soutien de la Fondation du patrimoine (FdP), la mairie compte aussi offrir à l’édifice une nouvelle cloche, fondue pour l’occasion. Elle sera installée dans le beffroi, avec trois autres cloches provenant de la chapelle de l’hôpital Saint-Charles, muettes depuis la tempête de 1999. Grâce à ce carillon augmenté, la cathédrale pourrait faire résonner sa renommée plus au loin…

 

 

Une année de festivités

Pour le 800e anniversaire de sa cathédrale, la ville de Toul propose un programme d’activités :

Dans le cadre du Festival Bach, à l’affiche chaque année dans la ville, l’intégralité de l’œuvre pour orgue d’Olivier Messiaen sera enregistrée sur le grand orgue néoclassique de la cathédrale. Datant de 1963, celui-ci compte 70 jeux sur 4 claviers. Cet événement se veut un hommage au compositeur Olivier Messiaen, qui fut fait prisonnier durant la Seconde Guerre mondiale à Germiny, près de Toul.

Une exposition de photographies autour de la cathédrale est proposée du 6 novembre au 27 mars au Musée d’art et d’histoire Michel-Hachet.

Une cuvée « 800 ans » de l’AOC Côtes de Toul, un vin blanc pétillant, a été créée avec les viticulteurs locaux.